Cher.e vous qui lisez cette gazette*, j’aimerais vous raconter la naissance de « Quand ça commence ».

Je m’appelle Caroline Melon et je suis autrice et metteure-en-scène De chair et d’os. Il y a deux ans, Stéphane Jouan, le directeur de l’Avant-Scène, m’a invitée à raconter mes projets et leur méthodologie. En effet, je suis souvent un protocole assez précis qui répond aux besoins suivants :
* un cadre de travail clair, précis et juste, pour poser les jalons sécurisants nécessaires qui permettront ensuite de prendre tous les risques que l’on souhaitera,
* une disponibilité, une ouverture et une écoute curieuse et enthousiaste,
* une liberté totale sur la direction que nous prendrons, pour accueillir l’inspiration qui viendra,
* un solide rapport de confiance avec les partenaires puisque précisément, nous ne savons pas du tout où nous allons. Et c’est ça qui est bon. Et ce pourquoi Stéphane m’a proposé d’intégrer l’Observatoire du doute : faire et (se) regarder faire, débusquer les endroits de faille, non pas pour les aplanir, les lisser et mentir ensuite sur la prétendue facilité des choses, mais au contraire pour en faire sens, tisser à partir du réel et de ses embûches, trébucher et se relever, comme dirait l’autre, parce que c’est si, pourquoi, et comment on se relève qui compte. Ce qu’on fait un peu tous dans nos vies de tous les jours, en fait, mais sans prendre le temps de l’observation, coincé.e.s que nous sommes dans des injonctions au bonheur, à la vie parfaite et à l’urgence de produire.

Ensuite, quand le projet s’enclenche, l’inspiration ne tombe pas du ciel : elle s’acquiert au fil de flâneries, de rencontres, de lectures, de recherches : c’est la partie documentaire du processus. La démarche se situe donc à la croisée de deux domaines que l’on voudrait parfois éloignés, voire contradictoires : une approche totalement instinctive, en sérendipité joyeuse et légère liée au moment + un prisme scientifique, nourri de données démographiques, sociologiques, économiques et toutes les choses en « ique » dont on aura besoin pour prélever des échantillons de la réalité (et du territoire quand c’est un projet de territoire), les coller sous notre microscope et voir les merveilles qui en sortent.

À ce moment-là, j’avais rencontré Camille Duvelleroy, scénariste interactive œuvrant plutôt dans le domaine audiovisuel. Camille invente des fictions passionnantes, nourries de documentaire, servant à raconter le réel, avec des outils extrêmement intéressants (ne serait-ce, certains, que pour les dévoyer) : les réseaux sociaux, les téléphones dits intelligents, et plus généralement les pratiques liées aux grands méchants écrans que nous détestons en cœur tout en caressant leurs peaux des centaines de fois par jour. C’est là une des obsessions de Camille : raconter des histoires là où il y a des gens, sans chercher à nous faire venir dans une salle de théâtre ou un lieu consacré ; raconter là où nous nous trouvons déjà.

Et en même temps, ce qui nous intéresse toutes les deux avant tout, ce n’est pas la technicité d’un outil en tant que tel : il ne sera qu’un moyen pour raconter une histoire, et nous avons la conviction que celle-ci doit être bonne, parce qu’aucun gadget quelconque ne pourrait pallier la faiblesse d’un scénario.

Et ce que nous avons envie de raconter, ce sont des histoires d’amour.

Parce qu’on ne cesse de parler d’amour. C’est le sujet le plus galvaudé au monde, celui dont on nous rebat les oreilles, d’uneentêtante chanson de variété au plus puissant des romans. C’est un thème totalement épuisé et complètement inépuisable.

Quand ça commence traque ces instants où l’amour se construit ou se déconstruit. Ces instants qui n’existent que parce qu’on les raconte, on se les raconte, à deux, seul·e, après.

Quand une histoire d’amour commence ou qu’elle se termine, nous nous sommes rendues compte que nous avions besoin d’en autopsier les moments-clés, comme pour en tirer des preuves de son déroulé, comme pour y mettre de la logique, pour donner du sens et sans doute conserver l’impression d’un peu de contrôle dans ce mouvement où tout nous échappe.

Ça a été notre point de départ. En mai dernier, nous avons fait une résidence confinée, Camille à Toulouse et moi à Bordeaux, et nous avons inventé les quatre personnages de notre récit : là où elles en sont quand le spectacle commence, leur trajectoire, ce avec quoi elles en sortent.

Nous avons inventé Léa, Blanche, Anouk et Myriam, et nous les avons écoutées dérouler le fil de leurs histoires entremêlées, de ruptures trash en envolées sublimes.

En décembre, nous allons les retrouver pour construire l’architecture du récit, les articulations entre les parcours. Et puis nous allons aussi commencer à déplier ce qui a lieu en réel et en virtuel. Parce que j’ai oublié de vous dire : ce sera un spectacle réunissant des comédiennes en chair et en os, et un récit en réalité virtuelle. Et chaque personne du public aura le choix, à tout moment, de passer de l’un à l’autre.

Pour l’instant, on ne vous en dit pas plus, mais on vous donnera rendez-vous bientôt pour vous raconter là où on est, nos réussites et nos plantades, nos peurs et nos joies, nos ajustements concrets face à la réalité qui résiste ou se meut sous nos pas.

On a hâte !

Caroline Melon

* Texte écrit pour la Gazette numéro 3 « L’Après Tout » publication janvier 2021

Production De chair et d’os 
Coproduction L’Avant-Scène, Cognac, scène conventionnée ; iddac, agence culturelle du Département de la Gironde
Autres coproducteurs en cours
Avec le soutien de la Drac Nouvelle-Aquitaine et la participation du CNC-DICRéAM


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